Journal de Bord par Yasmina Badolo

Les Dalton toujours en vadrouille ? 

L'histoire de Dunia, une histoire de rencontres ?

e belles rencontres qui se succèdent   
  depuis une dizaine d'années...
    Tout à commencé avec Georgette, il y a 13 ans...



'abord une rencontre entre Georgette et moi-même. A l'époque, j'avais 19 ans, elle en avait 11. C'était en 1992 à Ouagadougou. Je l'ai rencontrée dans une des rues principales de la capitale, où j'habitais.
Une jeune fille dort dans les couloirs de l'immeuble où j'habite. C'est mon premier contact avec les enfants appelés communément, sans distinction, les enfants de la rue. Pourtant, c'est par un cheminement singulier, lié à son parcours familial et à sa rébellion que Georgette a choisi la rue ! En décembre 1994, j'obtiens sa tutelle. Entre temps, j'ai découvert le milieu des enfants vivant dans les rues. J'y ai vécu d'autres rencontres. Principalement avec Saidou, enfant paraplégique dont la bouille me fait craquer. Lui aussi traîne aux abords de mon immeuble. Il est rusé. C'est un filou. Il doit avoir 8 ans. L'immeuble où je vis a été surnommé l'ONU car il abrite de multiples nationalités (Togolais, Français, Mauritaniens, Nigériens, Ivoiriens...) qui s'y côtoyaient en excellent voisinage. Et cette période lorsque nous en parlons avec les Dalton, nous la nommons " l'époque ". Mais qui sont les Dalton ?

C'est notre famille informelle qui s'est constituée
au fil des années…


Saidou, par son handicap, son âge et sa bouille, bénéficiait de multiples avantages à vivre dans la rue. Les gens avaient facilement pitié de lui. Ainsi il pouvait mendier et gagner beaucoup d'argent dans sa journée; parfois davantage qu'un fonctionnaire moyen ! C'est ainsi que de nombreux enfants se sont attachés à lui le poussant dans son fauteuil roulant qu'une association nous avait donné. Depuis que je connais Saidou, il m'a toujours fait part de son ambition de devenir « patron » lorsqu'il serait grand ! Mais son caractère de dictateur finissait toujours par avoir raison de leur relation qui se terminait en bagarre. C'est ainsi que s'est constituée la bande du Rond point des Nations unies composées d'une dizaine d'enfants autour de Saidou. Tous les enfants que j'ai rencontrés et qui sont rentrés dans notre famille furent ceux qui défilèrent derrière lui. Soumis pour un temps, ils n'osaient trop rien dire, puisque c'est Saidou qui gagnait le plus d'argent ! Mais si le temps passait, ils en avaient marre et se rebellaient. C'est ainsi qu'est née la famille Dalton...


La famille Dalton, ce sont des petits bandits. A l'époque, ils n'étaient pas rentrés dans la grande délinquance. Ils vivaient de petits larcins. Par exemple, le jour où Saidou a rencontré Dieudonné, âgé de 10 ans à l'époque, il a voulu lui apprendre à voler. Dieudonné venait d'arriver d'un village où il vivait avec son oncle et sa tante. Il était orphelin de père et de mère. Il avait décidé de tenter sa chance en ville, imaginant accéder à un véritable eldorado… Mais la ville est toute autre pour ces enfants qui rêvent.
Les voleurs disposent de réseaux pour organiser leur fuite. Ils se servent en effet des égouts. C'est ainsi que Saidou avait montré à Dieudonné comment voler et comment s'enfuir. Il lui avait expliqué qu'il devait rentrer dans les conduits et qu'il attendrait à l'autre bout, correspondant à une des sorties. Mais Dieudonné, novice et paniqué, était tétanisé par son acte une fois commis, et se cacha dans l'égout sans trouver la sortie. Il attendit ainsi la nuit pour retrouver le ciel par le même trou par lequel il était entré ! Saidou avait bien du travail pour le former ! Et Dieudonné, ce jour là, s'est bien fait disputer par son tuteur !


Les Dalton dans les années 90, c'était donc de petits vols et beaucoup de mendicité - juste de quoi se débrouiller. Le principal problème était la colle qu'ils sniffaient. Le Burkina est le pays des deux roues. Par conséquent tous les 300 mètres, on trouve un apprenti-mécanicien qui colle une roue en utilisant la colle à rustine. Les enfants ont donc un accès facile à ces drogues. La colle leur permet de couper la faim, de casser l'ennui et de lever les tabous pour réussir à voler. En effet, pour de nombreux enfants qui ont reçu une bonne éducation, le vol reste un acte socialement honteux. Et les enfants ne peuvent pas tous s'y apprêter sans la colle ou l'herbe.... certains prennent aussi des médicaments. Les effets à terme sont extrêmement nocifs et peuvent conduire à la folie détruisant littéralement les neurones. Mais à l'époque, les Dalton n'en étaient pas là.... [Le « là » c'est ce stade où tu pourrais sous l'emprise de la drogue tuer ton père ou ta mère, où il n'y a même plus de barrières pour t'arrêter dans tes actes.…]


La famille Dalton s'est agrandi progressivement au rythme des licenciements abusifs des pousseurs de
Saidou. Dieudonné, Ablassé, Abbas, Oumar….


L'époque est passée, chacun a grandi. Nous avons tous fait ensemble un sacré bout de chemin depuis 1992, partageant à certaines périodes la même maison, les accompagnant dans leur insertion tant professionnelle que sociale et familiale. Scolarisation, formation chez des artisans, camp culturel en brousse, notre quotidien était riche. Chaque jour constituait une aventure entre les commissariats, les bagarres et le travail éducatif quotidien. Y a-t-il un plus beau métier que celui d'éducatrice ? Redresser ce qui est courbé, enlever les mauvaises herbes et révéler ce qui est caché en chacun des enfants. Il faut plusieurs années à une terre pour donner le meilleur d'elle-même. L'éducation est un travail de labour, un travail passionnant parce qu'il n'y a pas une réponse idéale pour tous; il faut régulièrement se remettre en cause pour que la réponse que je peux avoir soit comme un engrais adapté qu'il faut apprendre à doser. Et nous avons eu énormément de bons moments vrais que nous avons eu le privilège de partager. Entre nous il n'a jamais été question d'un projet, ni d'argent. Nous vivions en famille. Nous nous étions choisis. Et c'est dans les réalités burkinabé que nous nous sommes construits. Il y eut des jours difficiles, mais aussi des moments bénis. Nous avons vécu tant d'anecdotes et d'histoires que chacun constitue un dossier en soi ou un chapitre de vie. Ici je voulais juste vous donner de leurs nouvelles, car ils ont bien grandi. Ils sont aujourd'hui des adultes, pour certains des grands bandits, pour d'autres des petits bandits en fuite. A chacun son caractère, ses choix de vie et son parcours… Mais qui a dit qu'un Dalton ne pouvait pas s'en sortir ?


Ablassé
Aucune nouvelle de lui depuis qu'il a quitté le Burkina Faso en 1999. Nous venions de fermer la maison où nous vivions depuis une année. Il a décidé de retourner en Côte d'Ivoire pour retrouver ses parents, sans adresse. Depuis je ne l'ai jamais revu.  Ablassé était très attachant et toujours prêt à rendre service. En somme un brave garçon ! Son défaut princi

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